RUSTY BURNS. VIE ET MORT D'UN "ROCK N' ROLL SOLDIER"

Le 19 février 2016, peu avant minuit, RUSTY BURNS a quitté cette terre.
Son nom n’évoquera sans doute rien pour la grande majorité des mortels mais, pour un petit pourcentage de passionnés, il signifie beaucoup. La tristesse au cœur, quelques milliers de personnes de par le monde pleurent un guitariste phénoménal et un immense artiste mais aussi celui qui a mis sur pied le groupe mythique Point Blank.
La Musique a perdu un de ses plus grands représentants. Quelle belle phrase !
En vérité, un hommage bien banal pour quelqu’un qui ne l’était pas.

DES DÉBUTS PRÉCOCES
Rusty Burns naît le 30 juin 1952 dans la petite ville de Cleburne, près de Fort Worth au Texas, et il est tout de suite bercé par une ambiance musicale. Son père, Bob Burns, est guitariste professionnel dans un groupe de « country music » et la maison familiale voit débarquer chaque jour son lot de musiciens. Á l’âge de cinq ans, le petit Rusty commence à caresser la guitare de son paternel (une Martin D-28). Papa Burns le laisse faire et l’encourage même dans cette voie, sans toutefois lui permettre d’inverser les cordes. Effectivement, Rusty est gaucher et il doit faire pivoter cette gratte conçue pour un droitier pour pouvoir en jouer. Cette particularité ne lui facilitera pas l’apprentissage de l’instrument mais lui apportera plus tard un avantage certain. En effet, lui piquer des plans se révélera quasiment impossible, Rusty jouant en inversion totale (manche inversé avec les cordes graves en bas et les cordes aiguës en haut). C’est aussi sans doute de là que vient son phrasé si caractéristique.
Selon ses propres dires, Rusty tombe littéralement amoureux de cette guitare. Il dort avec, il regarde la télévision avec et il fait ses devoirs dessus. Á tel point qu’il considère l’école comme une prison ou une punition qui le sépare de son instrument fétiche. Dès que la cloche sonne, il se précipite chez lui pour gratter.
Sous la conduite de son père, il fait de rapides progrès et joue contre rémunération pour la première fois à l’âge de huit ans. Dès lors, il consacre tout son temps libre à sa passion. Au fil des années, il enchaîne les groupes de collège et de lycée et il réalise son premier enregistrement à quinze ans. Déjà lancé sur l’autoroute du rock n’ roll, rien ne peut plus l’arrêter.

MUSIC BUSINESS
Les seventies naissantes voient le jeune Rusty se jeter à corps perdu dans la musique mais aussi dans les problèmes. En 1972, une relation aussi courte que tumultueuse avec une femme plus âgée lui brise le cœur (cette malheureuse histoire lui aurait inspiré le titre « Bad Bees »).
Pour se remettre, il déménage à Houston où il multiplie les jams et les concerts et finit par jouer régulièrement au Cellar Club. Il noue des relations avec les musicos du coin, notamment avec les frères Vaughan, mais aussi avec la drogue qui manquera causer sa perte. En effet, à cause de cette mauvaise habitude, il contracte une méchante hépatite qui le mène aux portes de la mort mais un médicament expérimental lui sauve la mise. Tandis qu’il gît dans un sale état sur son lit d’hôpital, il compose dans sa tête pas mal de morceaux (qui constitueront les deux futurs premiers albums de Point Blank).
Sorti de l’hosto, il décide de lever le pied mais, un jour qu’il se repose chez lui, il entend sonner à la porte. Il a la surprise de voir un détective privé lui annoncer que Monsieur Bill Ham, le manager de ZZ Top, souhaiterait s’entretenir avec lui (pour la petite histoire, un membre de l’équipe de Ham a entendu Rusty jouer de la guitare dans un magasin de musique et a prévenu son patron qu’il avait déniché un nouveau pistolero de la six-cordes).
Il signe un contrat avec Bill Ham qui souhaite que Rusty rassemble un groupe autour de lui. En attendant, Mister Ham lui propose d’intégrer le staff de ZZ Top en qualité de technicien-guitare (poste que Rusty tiendra pendant deux ans).

LE RÊVE D’UNE VIE
En 1974, Rusty rassemble une poignée de musiciens surdoués qu’il a croisés par le passé : le bassiste Phillip Petty, le batteur Buzzy Gruen et le chanteur Johnny O’Daniel (qui, quelques années auparavant, lui aurait permis de récupérer sa guitare volée). Cependant, il désire s’adjoindre les services d’un autre gratteux car il adore les harmonies à deux guitares. Il auditionne même le jeune Stevie Ray Vaughan mais il lui préfère Kim Davis (plus rock dans l’esprit alors que Stevie Ray ne veut jouer que du blues). Ce choix se révélera fort judicieux.
Le 19 juillet 1974 marque la naissance de Point Blank, un nom amené par Rusty lui-même.
La suite, tous les amateurs de bonne musique la connaissent.
Le groupe tourne intensivement pendant deux ans sans avoir un seul disque à son actif, ce que Rusty décrira lui-même comme une énorme erreur mais ses potes et lui sont encore novices et ignorent tout de la stratégie musicale.
Les concerts sont chauds dans tous les sens du terme. Non seulement nos musiciens mettent le feu aux planches mais ils doivent parfois faire face à l’animosité des rednecks texans qui les qualifient de hippies à cause de leurs cheveux longs. Question chevelure, Rusty n’est pas en reste par rapport à ses camarades mais, malheureusement pour lui, une calvitie précoce lui déboise le haut du crâne. Il opte donc pour le port d’un couvre-chef (un Stetson, un bandana ou un béret selon les époques). Quant à Phillip Petty, il se fera arrêter par les flics en raison de sa tignasse et menotter à un arbre. Cette malheureuse anecdote donnera naissance au morceau « Free Man ».
Durant ces deux années, les musiciens enchaînent les concerts sans rentrer chez eux, ce qui leur coûte leurs petites amies de l’époque. Quand Rusty retourne à la maison après ce long périple, sa famille peine à le reconnaître tant il a changé avec sa barbe fournie (Rusty a toujours affirmé qu’il avait opté pour la « barbouze » de compétition avant les mecs de ZZ Top).
Puis Point Blank sort deux albums incendiaires et débridés chez Arista en 1976 et 1977 (« Point Blank » et « Second Season » qui, d’après Rusty, auraient été enregistrés pratiquement l’un à la suite de l’autre lors de la même séance). Du boogie-rock teigneux made in Texas !
Point Blank ouvre pour de nombreuses vedettes (Bob Seger, ZZ Top, Journey, Kiss, Aerosmith et bien d’autres) et joue dans des stades immenses. Les concerts se succèdent à un rythme harassant (plus de 300 dates en 1976 et environ 260 shows en 1977). Le groupe assure aussi les premières parties de grands noms du « Southern Rock » comme Marshall Tucker Band ou Lynyrd Skynyrd. Durant cette période, avec l’aide de son complice Kim Davis et des autres membres de Point Blank, Rusty enflamme les scènes de l’Amérique entière à coups de solos incandescents. Il passe sa vie à gratter sa guitare, son rêve est devenu réalité.

TRAGÉDIE, DÉBOIRES ET MALCHANCE
Les mecs de Point Blank balancent des shows d’enfer et le succès commence à leur sourire. Un pas de plus est franchi quand ils sont engagés pour assurer les premières parties de Lynyrd Skynyrd pour une grande tournée d’automne. Au programme, un gigantesque circuit à travers les Etats-Unis mais aussi en Europe et dans d’autres pays du monde.
Rusty exulte en voyant tous ses espoirs se concrétiser. Le 20 octobre 1977, ses copains et lui s’entassent dans un van pour rejoindre Lynyrd Skynyrd le soir même à Bâton Rouge en Louisiane. Ils roulent depuis une vingtaine de minutes quand ils entendent à la radio la terrible nouvelle : l’avion qui transportait l’équipe entière de Lynyrd Skynyrd s’est crashé dans les marais. Rusty est bouleversé.
Non seulement il a perdu des amis (Ronnie Van Zant et Steve Gaines) mais c’en est aussi fini de la méga tournée tant espérée. En plus, à un jour près, Rusty et ses collègues ont bien failli se retrouver dans le zinc fatidique (il était prévu que les deux groupes partagent le même avion). Dès lors, Point Blank n’aura plus l’occasion de faire du charme à la gloire et va courir tant bien que mal le cacheton. Un malheur n’arrivant jamais seul, Arista ne renouvelle pas le contrat.

Le départ du bassiste Phillip Petty (remplacé par « Wild Bill » Randolph), un engagement chez MCA et deux albums d’excellente facture avec l’adjonction d’un clavier (« Airplay » en 1979 et « The hard way » en 1980) ne changeront pas la donne. Johnny O’ Daniel va tenter sa chance ailleurs et est remplacé par le chanteur texan Bubba Keith. Le disque suivant (« American Excess » en 1981) accouche d’un hit single pour les radios (« Nicole ») qui vient trop tard et ne suffit pas à redresser la barre.
1982 voit la sortie d’une galette qui se veut dans l’air du temps (« On a Roll » avec énormément de claviers lorgnant du côté de la FM) mais qui n’obtient pas le succès escompté tout en déroutant les fans de la première heure. Soulignons au passage que, d’après les intéressés eux-mêmes (Rusty Burns et Buzzy Gruen notamment), seuls les musiciens seraient responsables de ce virage musical, leur manager et leur maison de disques n’ayant jamais influencé leur style.
De plus, cette année ne porte pas chance à Rusty qui se brise les deux jambes et le bassin dans un grave accident (dans deux interviews distantes d’une dizaine d’années, il en donnera deux versions différentes : il déclarera d’abord qu’il s’agissait d’une chute de ski puis, beaucoup plus tard, il affirmera au magazine Easyriders que c’était un accident de moto).
Il reste de longs mois en convalescence, ce qui n’arrange pas les affaires du groupe. Ensuite, Point Blank accompagne ZZ Top sur sa tournée américaine mais, bizarrement, le groupe ne suivra pas les barbus en Europe. Il existe deux versions concernant ce sujet. Selon Rusty Burns, le groupe aurait négligé sa percée sur le continent européen en pensant qu’il y était inconnu. Par contre, Buzzy Gruen affirme que Bill Ham ne leur aurait pas permis de voyager là-bas.
Comme si cela ne suffisait pas, un procès engagé contre Lone Wolf Productions dépossède Point Blank de son nom au profit de Bill Ham qui s’en retrouve l’unique propriétaire. Sans aucun engagement, sans tournée, sans nom et surtout sans aucune perspective d’avenir, le groupe se disloque. Le rêve de Rusty s’effondre et il vivra très mal ce pénible épisode.
Mais le feu sacré de la Musique ne l’abandonne pas. Contrairement à Kim Davis qui va intégrer la firme des amplis Peavey comme représentant ou Johnny O’ Daniel qui va devenir golfeur, Rusty continue dans la voie qu’il a choisie.
Il occupe les décennies suivantes à travailler dans le domaine de la « country music » et à mettre sur pied un petit studio d’enregistrement. Il joue un temps avec Black Oak Arkansas. Il bosse aussi comme « flingue à louer » (« hired gun » selon ses propres dires) dans divers projets et sur pas mal d’albums. Et du travail, il n’en manque pas car beaucoup de gens au Texas désirent sa présence sur leurs disques. Il s’occupe également de la production de quelques albums.

Si la gloire ne l’illumine pas, il continue du moins à vivre de son art.
Et quand la crise frappe le secteur musical au début des années 2000, il ne rechigne pas à retrousser ses manches et à exercer des boulots alimentaires pour joindre les deux bouts. Il monte même une entreprise de camions.
Côté personnel, la vie ne se montre pas tendre avec lui et le décès de son père le plonge dans le plus grand désarroi (il composera d’ailleurs des années plus tard l’instrumental « My Soul Cries Out » pour honorer sa mémoire).
Il pleurera également la mort de « Wild Bill » Randolph (l’ancien bassiste de Point Blank) et de son pote « Dimebag » Darell (guitariste de Pantera, flingué sur scène par un dingue en 2004).
Rusty se tourne aussi vers la religion et certains de ses proches le dépeignent comme un chrétien conservateur (quoi de plus naturel pour un Texan pur sang), ce qui ne l’empêche apparemment pas d’évoluer avec aisance dans ce monde libéral.
De plus, Rusty n’est pas un prêcheur en carton. Tout comme Bruce Brookshire de Doc Holliday (devenu pasteur et aidant les gens dans le besoin), il tente de se rendre utile. Ainsi, au début de la décennie 2000, il voyage au Honduras et visite dans une prison les membres d’un gang ultra violent (18 Street Gang) qui arborent tous « 666 », le nombre de l’apocalypse, tatoué sur leur front. Selon ses propres déclarations, quand les grilles se referment et que l’on se retrouve en cellule avec eux, la phrase « avoir foi en Dieu » prend alors un tout autre sens. Après avoir discuté avec lui, certains se seraient convertis et auraient abandonné le recours à la violence excessive. Rusty renouvellera d’ailleurs cette expérience au sein de quelques prisons du Texas.
Cependant, vivre pleinement sa foi ne l’empêche pas d’avoir des amis, d’apprécier une bonne bière et surtout de monter sur scène pour faire hurler sa guitare chaque fois que l’occasion se présente. Et c’est bien ça le plus beau !

RENAISSANCE
Le destin se manifeste parfois dans des circonstances bien étranges.
Rusty a souvent participé à des œuvres caritatives et honoré de sa présence des shows servant à récolter des fonds pour différentes causes. Quand il apprend en 2005 que l’état de santé d’un des anciens roadies de Point Blank nécessite une greffe du foie, il n’hésite pas. Avec son ancien complice Phillip Petty, ils mettent sur pied un concert pour récolter l’argent nécessaire. L’imbroglio juridique avec Bill Ham semblant aplani, les musiciens peuvent de nouveau se réunir sous le nom de Point Blank (seul Kim Davis manque à l’appel et il est remplacé par Buddy Whittington). Ce show sort en 2007 sur le label français Dixie Frog sous le titre « Reloaded ».

Et l’incroyable se produit ! Des décennies plus tard, Point Blank se reforme et entame une tournée européenne pour la première fois de son existence. Le groupe commence par une prestation au Sweden Rock Festival devant une foule gigantesque, puis passe par l’Allemagne, la Suisse et, encore plus incroyable, la France. Rusty savoure chaque seconde de cette épopée, son rêve est de nouveau sur les rails.
Certaines mauvaises langues exhortent les fans à ne pas se réjouir trop vite mais, contre toute attente, le groupe sort son premier album studio depuis 1982 («Fight on» en 2009, toujours chez Dixie Frog) et revient en Europe en 2010 en faisant un crochet par Monaco et Paris (à Bobino) entre autres, puis en 2011, passant à nouveau par la France (Morzine et Goncourt). Un autre disque (« Volume 9 ») voit le jour en 2014 et démontre que Rusty et ses potes sont toujours au sommet de leur forme.
Qui aurait pu penser que Point Blank renaîtrait de ses cendres après toutes ces années ? Même Rusty croyait cette aventure définitivement terminée. Il déclarera d’ailleurs dans l’émission allemande Rockpalast que si quelqu’un lui avait annoncé qu’il viendrait un jour jouer en Europe avec son groupe d’origine, il l’aurait traité de dingue. Savourant cette seconde chance inespérée, il pense avec raison que le temps des épreuves tire à sa fin. Malheureusement, le pauvre Rusty n’est pas au bout de ses déconvenues.

LA MALCHANCE JUSQU’AU BOUT
Si la reformation de Point Blank dépasse ses espérances, Rusty va encore encaisser quelques mauvais coups du sort. D’abord, il perd des vieux potes en l’espace d’un an : Phillip Petty (mort d’un cancer de l’estomac en 2010), Kim Davis (décédé quelques jours après s’être tiré une balle dans la tête en octobre 2010) et Mike Hamilton (l’ancien clavier, mort en mai 2011). Mais surtout, il doit faire face à de graves problèmes familiaux, sa mère devenant sujette à des accès de démence.
En raison de ces chocs émotionnels à répétition, il ne signera qu’un seul titre sur l’album « Volume 9 » sorti en 2014. Ce disque sera d’ailleurs financé par le biais du site internet Kickstarter (soutenant divers projets par le biais de dons et de financements participatifs des internautes), ce qui montre que tout n’est pas rose non plus côté finances.
Cependant, Rusty continue bravement de lutter contre l’adversité en s’accrochant à sa guitare. Il joue avec Point Blank mais aussi avec un autre groupe, Big Wampum, et il participe également à quelques sessions (tout ça en ayant un autre boulot à côté).
La vie pourrait s’écouler ainsi mais le destin garde en réserve un autre coup dur pour Rusty. On lui diagnostique un cancer du poumon et il doit se faire opérer mais il se heurte à un problème financier. En effet, en tant que musicien et chef
d’entreprise, Rusty n’est pas salarié et ne bénéficie d’aucune couverture sociale. Un concert de soutien est donc mis sur pied et a lieu le 21 juin 2015 avec une pléiade d’artistes texans (comme Buddy Whittington, The Stratoblasters, Neal Drennan ou Tim Hood). En plus de ce plateau de choix, une surprise de taille attend les spectateurs avec la participation de dernière minute de Big Wampum avec Rusty en personne. Ce dernier, bien que malade, décide de s’octroyer une parenthèse musicale et monte sur scène pour envoyer quelques solos flamboyants (il rééditera cet exploit une semaine plus tard en jouant au show de soutien pour John Nitzinger). La recette frôle les quinze mille dollars, ce qui n’est que justice pour Rusty qui a toujours participé avec enthousiasme à ce genre de manifestation pour aider ses amis musiciens.
Il peut donc se faire opérer mais il a énormément de mal à récupérer. Á tel point qu’il décide, en accord avec Johnny O’ Daniel, d’arrêter définitivement Point Blank. Il cesse aussi sa collaboration avec Big Wampum. Luttant contre la fatigue et les douleurs post opératoires, il se sent incapable de gratter sa guitare et préfère se concentrer sur sa convalescence.
Mais il connaît une autre déconvenue de taille en apprenant quelques temps plus tard que Johnny O’ Daniel a décidé de remonter Point Blank en dépit de leur accord. Se sentant trahi, Rusty digère tant bien que mal cette affligeante nouvelle mais cette sévère désillusion ne contribue certainement pas à l’amélioration de son état de santé qui alterne des hauts et des bas. Néanmoins, il continue de se battre contre la maladie avec détermination, comme l’homme courageux qu’il a toujours été.
Le Premier de l’An le trouve dans son home studio à enregistrer quelques bribes de morceaux.
Au milieu du mois de janvier, il quitte Fort Worth pour s’installer à Denver (Colorado) où il pourra suivre un traitement encore illégal au Texas. Il entame un combat à l’issue incertaine mais il garde l’espoir de rejouer un jour (sur sa page de réseau social, on le voit d’ailleurs assis sur son lit d’hôpital, caressant sa Martin acoustique). Face à un adversaire vicieux, Rusty se défend avec énergie mais finit par succomber le 19 février juste avant minuit à l’âge de soixante trois ans et huit mois.

UN STYLE INIMITABLE
Rusty parti, il nous reste ses témoignages discographiques pour attester de son immense talent. S’il est assez difficile de décrire son style, certains éléments peuvent le clarifier.
Tout d’abord, le son de guitare, immédiatement reconnaissable. Un son à l’image du bonhomme, robuste comme un diamant brut mais qui laisse filtrer toute une myriade de lueurs différentes. Rusty a longtemps joué sur des Gibson LesPaul puis, recherchant des nuances plus subtiles, s’est orienté vers le son Fender avec sa Blade aux contours évoquant une Stratocaster mais à l’électronique trafiquée et complexe. Côté amplis, il a toujours préféré les Marshall avec, de temps à autre, quelques infidélités pour la marque Hughes and Kettner. Cependant, les dernières années, il ne lui était souvent pas possible d’emmener son propre matériel en tournée (pour de simples raisons financières) et il devait faire avec l’ampli qu’on mettait à sa disposition. Bien sûr, il possédait un rack d’effets mais tout le monde sait qu’une sonorité de guitare varie d’un amplificateur à l’autre. Mais malgré tout, il sonnait toujours de la même façon en raison de son toucher incomparable, ce qui est la marque d’un grand guitariste.
Ensuite, son style incroyable. Un étonnant mélange de férocité, de mélodie, d’agressivité, d’émotion et de subtilité. Si Rusty faisait preuve d’une dextérité hors norme, il était aussi doué d’une extrême musicalité. Il ne se focalisait pas uniquement sur la guitare mais sur l’ensemble d’un morceau afin de générer les meilleurs arrangements possibles. Ainsi, bon nombre d’artistes ayant eu recours à ses talents déclarent qu’il jouait avant tout pour la chanson et non pour la démonstration.
Son travail avec Point Blank illustre à merveille ces propos et ses géniales interventions parlent d’elles-mêmes, que ce soit pour les solos (« Free Man », « Uncle Ned », « Nicole », « Mean To Your Queenie ») ou la composition (« Stars And Scars », « My Soul Cries Out »). En plus, Rusty pouvait donner de la voix bien qu’il ne se considérât pas comme un chanteur (« Bad Bees », « Stars And Scars », « Fight On », « Rock'n Roll Soldier »).
En ce qui concerne ses influences, Rusty ne cachait pas sa passion pour la « country music » et son amour du blues. Mais il affirmait aussi qu’au Texas, il faut savoir s’imprégner de toutes les musiques si on veut jouer (cajun, soul, boogie, jazz). Cependant, il avait tout donné pour le rock et ses excès sonores.
Tel un acteur de théâtre pouvant passer indifféremment du rire aux larmes, Rusty était capable d’alterner une fulgurante descente de notes à la limite du hard rock, rehaussée d’altérations jazzy, avec quelques phrases sobres débordant de passion et de feeling. Il pouvait faire ressortir une harmonique d’un savant coup de médiator et il tapait quelquefois sur la caisse de sa six-cordes pour prolonger une note. Il avait aussi développé un jeu en slide efficace sans recourir aux « open tunings ». Son jeu de guitare était également parsemé par moments de quelques touches « hendrixiennes » car il admirait le célèbre gaucher.
Cependant, malgré toutes ses qualités, Rusty ne s’est jamais mis en avant. Il aurait pu tomber dans les travers d’un « guitar hero » égoïste mais il privilégiait le travail de groupe. Ainsi, il n’a pas hésité à intégrer un deuxième guitariste au sein de Point Blank tant il était amoureux des harmonies de guitares (il citait souvent Wishbone Ash en exemple). Et il a toujours choisi des cracks (Kim Davis, Buddy Whittington, Mouse Mayes), preuve qu’il n’a jamais tiré la couverture à lui. Il n’était jamais aussi heureux que quand il croisait le manche avec un autre gratteux, pas pour la compétition mais pour la complémentarité. Tous les musiciens ayant eu le bonheur de jouer avec lui sont unanimes à ce sujet : il aurait pu scotcher tout le monde avec une démonstration pharamineuse mais il préférait laisser de l’espace aux autres musiciens, se contentant d’apporter simplement sa contribution à l’ensemble.
Guitariste incontestablement remarquable, musicien époustouflant et compositeur inspiré, Rusty avait su intégrer toute une diversité d’influences musicales pour se forger un style totalement original. En concert, on pouvait littéralement voir les étincelles s’échapper de son instrument.
Malheureusement, il a emmené avec lui les secrets de son art.

SOUVENIRS
Que ce soit pendant des années ou durant quelques instants seulement, tous ceux qui ont côtoyé Rusty peuvent témoigner qu’il était un véritable gentleman. Toujours disponible pour ses fans (poignée de main, autographe, photo), il répondait avec le sourire aux compliments. Même si cela ne durait qu’un court moment, on avait l’impression de discuter réellement avec lui comme si on le connaissait depuis toujours. Il se donnait à fond pour son public. Ainsi, quand le concert d’Ancerville a été annulé pour des raisons météorologiques en 2007 (une abondante averse avait inondé une partie du matériel), Rusty est tout bonnement revenu pour parler avec les gens et s’excuser au nom de Point Blank. Cette apparition inattendue a permis d’adoucir l’amertume de ceux qui s’étaient déplacés pour voir leur groupe favori. Peu d’artistes auraient agi ainsi. Respect !
De plus, il a toujours participé à des actions de bienfaisance et à des appels de fonds en faveur de musiciens malades en participant à de nombreux concerts caritatifs. Généreux musicalement, il l’était aussi humainement.
Depuis son décès, sa page de réseau social fourmille d’hommages à sa mémoire (qui émanent des Etats-Unis mais aussi de bien d’autres pays). Des messages de soutien, des souvenirs de concerts et aussi une multitude de photos. Des photos de Rusty sur scène, la guitare en avant. Des photos de Rusty posant avec des musiciens connus, avec des personnes ordinaires, avec des fans à la sortie d’un show. Toujours avec le sourire. C’est comme cela que l’on se souviendra de Rusty : un mec accessible, simple et sympa.
(Pour l'avoir éprouvée pendant de nombreuses années, la rédaction de RTJ peut aussi témoigner de la qualité rare de l'inaltérable fidélité de Rusty en amitié, qu'il en soit ici remercié, NdR.)

Musicalement parlant, la perte est immense pour le « Southern Rock » et le Texas boogie-blues qui perdent là un fameux représentant. Maintenant, il ne reste plus beaucoup de « guitar slingers » célèbres originaires du Dixieland à part Gary Rossington, Dave Hlubek, Rickey Medlocke ou Billy Gibbons.
Mais au-delà de la tristesse ressentie par les fans, au-delà de la valse des étiquettes musicales, la mort de Rusty sonne le glas d’une époque. Celle des découvreurs de son et des pionniers de l’amplification, influencés par le grand Jimi et par le blues. Celle des inventeurs de riffs plombés et de solos chauffés à blanc. Celle des guitaristes géniaux dont le talent a éclaté à la fin des sixties et au début des seventies comme Johnny Winter, Eric Clapton, Jeff Beck ou Jim McCarty de Cactus.
Sans exagérer, Rusty Burns appartenait à cette élite même s’il n’en a jamais eu la renommée. Son passage sur notre petite planète n’a peut-être pas eu la flamboyance méritée mais il a posé sa pierre à l’édifice du Rock n’ Roll. Simplement, sans prétention. L’existence ne l’a pas épargné et il a souvent vécu à la dure (The Hard Way) mais il est toujours resté un homme libre (Free Man) ne vivant que pour sa musique. Cette musique, on aurait seulement voulu en profiter un peu plus longtemps.

Quelque part, au fin fond du Texas. Le soleil couchant embrase l’horizon.
Dans le bar posé au bord de la Route Nationale, ce n’est pas la joie.
Accoudée au comptoir, Nicole pleure doucement. Juste à côté d’elle, Oncle Ned sirote un verre de bourbon. Tous deux contemplent le fond de la salle d’un regard perdu. Sur la petite scène, plongée dans l’obscurité, trône une guitare que personne ne touchera jamais plus. Ils savent que rien ne sera plus pareil.
Nicole essuie ses larmes en reniflant tandis qu’Oncle Ned s’envoie sans conviction un autre bourbon.
Qui va les faire rêver maintenant ?

Olivier Aubry

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